Sommaire

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  1. Introduction
  2. Juana Romani
  3. La famille
  4. Les maîtres
  5. Dans l’atelier de Ferdinand Roybet​​​​​​​
  6. Devenir peintre
  7. De l’enfermement
  8. Maîtriser son image
  9. Le catalogue de l'exposition​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​

    Introduction

    Née à Velletri (Latium) en 1867, Juana Romani, de son vrai nom Giovanna Carolina Carlesimo, quitte sa terre natale à l’âge de dix ans pour s’installer avec sa famille à Paris. En 1882, elle démarre une première carrière de modèle avant de se former au dessin et à la peinture au contact de grands maîtres parisiens. Son physique généreux et sa chevelure fauve font d’elle un modèle apprécié tant de peintres (Victor Prouvé, Carolus-Duran, Jean-Jacques Henner ou Ferdinand Roybet) que de sculpteurs (Alexandre Falguière, Victor Peter…). La fréquentation des ateliers, à laquelle s’ajoute l’enseignement plus traditionnel de l’académie Colarossi ou de «l’atelier des dames», lui fournit les bases pratiques du métier de peintre. Avec Roybet, Juana Romani tisse des liens d’amitiés artistiques avant de s’installer définitivement dans son atelier. 
     
    Volontaire et déterminée, la peintre s’impose rapidement sur la scène artistique parisienne en produisant des images de femmes puissantes et sensuelles, issues de références littéraires et esthétiques témoignant de solides connaissances en histoire de la peinture ancienne et contemporaine. Au tournant du siècle, sa santé psychiatrique devenant de plus en plus fragile, elle cesse de produire après 1904. Déclarée aliénée, elle est internée dans plusieurs institutions puis décède, en 1923, dans une maison de santé à Suresnes.
     
    Peintre de talent au destin romanesque dont la carrière s’épanouit sur moins de vingt années, Juana Romani revendique sa position d’artiste femme au sein d’un milieu essentiellement masculin et participe, malgré elle, aux mouvements d’émancipation féminine.
     
    Après une première rétrospective en Italie, à Velletri, en 2017, il appartenait au musée Roybet Fould d’organiser la première exposition française. 

     
     
    Recherches
    Marion Lagrange, maîtresse de conférences en histoire de l’art contemporain, université Bordeaux Montaigne
    Gabriele Romani, historien de l’art (Roma, Italie)
    Emmanuelle Trief-Touchard, attachée de conservation du patrimoine, directrice du musée Roybet Fould, à Courbevoie.
     
    Rédaction des textes hors mention particulière
    Marion Lagrange
    Emmanuelle Trief-Touchard
     
    Traduction en italien
    Gabriele Romani

    Juana Romani

    Un rêve d’absolu

    C’est une histoire d’amour peu conventionnelle qui conduit les pas de la jeune Juana dans la capitale parisienne. Rien ne prédisposait cette enfant née en 1867 à Velletri, au Sud de Rome, dans une famille de fermiers sans terre, à devenir une artiste en vue de la Belle Époque. Sa mère, Marianna Schiavi, quitte un an après sa naissance, son époux Giacinto Carlesimo tenté par le brigandage. Elle s’installe au service de la famille Romani qui détient vignes et forêts. Temistocle Romani, musicien de profession, gère alors avec son père et ses frères le patrimoine familial. Il décide pourtant de rompre en 1877 avec son milieu d’origine, cultivé et aisé, pour vivre très modestement à Paris avec Marianna, qui devient son épouse l’année suivante. Juana, âgée de dix ans, les accompagne dans cet exil. 
     
    Ce déclassement social conduit la famille à connaître le destin des immigrés italiens vivant de petits métiers, parmi lesquels la profession de modèle qu’exercent certaines familles comme les Abruzzesi ou les Caira. Marianna suit cet exemple amenant avec elle, lors des séances de pose, sa fille qui apprend beaucoup de la vie des ateliers. À son tour, vers l’âge de quinze ou seize ans, Juana Romani débute une carrière de modèle en travaillant notamment pour l’académie Julian où se sont ouverts des ateliers pour les artistes femmes ainsi qu’à l’académie Colarossi tenue par un sculpteur d’origine italienne, qui l’aide sans doute à ses débuts. Rapidement, Juana Romani devient l’un de ces modèles qui passent des ateliers collectifs aux ateliers d’artistes renommés dont certains sont appelés à devenir ses maîtres.
     

    Un contre-modèle de femme artiste ?

    La carrière de Juana Romani débute bien différemment de celle des femmes peintres de son époque. Eduquée par son beau-père, la jeune fille découvre très jeune l’univers des ateliers parisiens, leurs codes et leurs pratiques en accompagnant sa mère qui pose occasionnellement. Son apprentissage s’effectue au gré des rencontres avec les artistes, certains étant alors considérés comme des « maîtres » à la carrière était déjà établie : Alexandre Falguière, Carolus-Duran, Jean-Jacques Henner, Ferdinand Roybet... En cela, Juana Romani eut un profil similaire à celui de sa contemporaine Suzanne Valadon (1865-1938), ancienne acrobate, dont la vocation de peintre fut encouragée par les artistes qu’elle fréquentait notamment en tant que modèle. Toutefois, l’une et l’autre furent sans doute amenées à côtoyer, dans le cadre de l’ « atelier des dames » dirigé par Carolus-Duran et Henner, des camarades issues de milieux plus aisés, telles Virginie-Hélène Porgès (1864-1930) ou Madeleine Smith (1864-1940). Juana Romani renoue probablement avec une forme de sororité par la fréquentation de Consuelo Fould (1862-1927) et de Georges Achille-Fould (1865-1951), anciennes élèves de Roybet. L’atelier de ce dernier s’avère ainsi être tant un lieu de formation qu’un lieu de sociabilité où se côtoient des peintres, des sculpteurs, des graveurs dont certains intègrent, autour de 1890 ou un peu plus tard, les rangs de l’Académie. Ces « référents » masculins jouaient un rôle de patronage auquel peu d’artistes – femmes comme hommes – échappaient, dans un contexte où le Salon s’avère toujours un relais indispensable à toute carrière. 
     
    L’atelier de Roybet permet ainsi à Juana Romani de se tenir éloignée des cénacles féminins, déclinant sa présence dans des expositions féminines ou refusant l’honneur faites à certaines de fréquenter l’Ecole des beaux-arts au profit d’une pratique professionnelle indépendante et d’un style sans équivalent chez ses consœurs. Après 1900, plusieurs artistes masculins ou féminines s’inspirent de sa peinture teintée d’orientalisme et de symbolisme.
     

    Chronologie sommaire

    1866 (17 avril) : Mariage d’Anna Maria (dite Marianna) Schiavi et de Giacinto Carlesimo à Velletri.
    1867 (30 avril) : Naissance de Giovanna Carolina Carlesimo (prénoms et nom de baptême de Juana Romani).
    1868 : Marianna entre comme domestique au sein de la famille Romani et rencontre Temistocle Romani, musicien de profession.
    1876 (8 janvier) : Décès du père de Juana Romani à Velletri.
    1877 : Âgée de dix ans, la future peintre s’installe à Paris avec sa mère et son beau-père.
    1878 (12 septembre) : Mariage en secondes noces de Marianna Schiavi (veuve de Carlesimo) avec Temistocle Romani à la mairie du XIVᵉ arrondissement.
    1879 : Sans ressources financières, Temistocle Romani accepte un poste de musicien dans un théâtre populaire tandis que Marianna pose pour des artistes, séances auxquelles sa fille assiste. 
    1882-1888 : Juana débute son activité de modèle professionnel à l’académie Julian et à l’académie Colarossi, sous le nom de Giovanna ou Carolina ou Giovanina Romani, puis de Juana Romani. Durant la décennie, elle pose pour Alexandre Falguière, Antonin Mercié, Jean-Jacques Henner, Carolus-Duran, Victor Prouvé, Jean-André Rixens, Benjamin-Constant, Gustave Boulanger, Victor Peter, Alexandre Lesrel et Ferdinand Roybet. Elle fréquente probablement l’ « atelier des dames » encadré par Henner et Carolus-Duran.
    1888 : Premier Salon de Juana Romani (Gitane, n° 2177) alors que Falguière expose le marbre de la Nymphe chasseresse (n° 4090). Elle travaille avec Ferdinand Roybet mais ne pose quasiment plus pour les autres artistes.
    1889 : Sélectionnée à l’Exposition universelle (section italienne), elle obtient une médaille d’argent grâce à laquelle elle devient hors-concours au Salon des Artistes français auquel elle participe tous les ans jusqu’en 1904.
    1892 : Roybet, qui n’avait pas exposé au Salon depuis 1868, y revient avec le Portrait de Juana Romani (n°1477) ; Juana Romani et Roybet séjournent en Italie, passant à Turin, Milan, Venise, Florence, Rome et enfin, Naples.
    1893 : Juana Romani et Roybet se rendent en Espagne, notamment à Madrid pour visiter le musée du Prado.
    1900 (2 mai) : Juana Romani est présente à l’inauguration du palais de l’Italie lors de l’Exposition universelle.
    1901 : Juana Romani se rend à Velletri, sa ville natale, en compagnie d’Angelo Mariani, Antoine Lumière et Roybet. Son nom est donné à l’école municipale des arts et métiers et l’artiste donne 5000 lires pour la fondation d’un prix en faveur de l’élève le plus méritant.
    1903 (avril) : Les premiers troubles psychiatriques de Juana Romani se manifestent ; Roybet l’accompagne à San Remo pour des soins jusqu’en février 1904.
    1905 (24 février) : Roybet manifeste son inquiétude sur l’état de santé de Juana Romani, avouant ne pas la quitter pas depuis trois semaines.
    1906 : De retour à Paris après une nouvelle thérapie en Italie, elle consulte le docteur Weglenski, puis se rend à la maison de santé de Turin avant d’être transférée à l’asile privé d’Ivry.
    1909 (5 février) : Décès de la mère de Juana Romani ; Roybet est désigné comme administrateur provisoire de ses biens dont un inventaire est dressé.
    1920 (11 avril) : Décès de Roybet à Paris ; la pension à l’asile privé d’Ivry cesse d’être payée et Juana est transférée à l’asile public de Sainte-Anne en octobre.
    1921 (14 décembre) : Elle est transférée à la division des femmes à l’asile public de Ville-Évrard. 
    1922 (5 janvier) : Consuelo Fould, marquise de Grasse, et la peintre d’origine danoise Sonia Hansen rendent visite à la peintre qui est transférée durant cette période au pavillon de chirurgie de Sainte-Anne ; elle y sera hospitalisée à plusieurs reprises.
    1923 (23 mai) : elle est transférée à la maison de santé du Château de Suresnes ; l’administrateur judiciaire programme une vente aux enchères des biens pour payer les frais de séjour mais celle-ci est annulée suite au décès de l’artiste ; (13 juin) : Juana Romani décède à Suresnes à l’âge de 56 ans.
    1924 (22 novembre) : Vente de succession à l’hôtel Drouot (108 nos) pour un total de 140 410 fr.
    1927 (16 mai) : Décès de Consuelo Fould qui réalise un legs à la ville de Courbevoie pour la création d’un musée dédié à la mémoire de Roybet, projet d’abord initié par Juana Romani à Velletri. 

    La famille

    Les origines de Juana Romani

    Par Gabriele Romani
    Les parents de Juana Romani faisaient partie des populations de travailleurs agricoles qui, au milieu du XIXᵉ siècle, ont émigré du bas Latium vers l’Agro Romano, vaste territoire rural autour de Rome. Anna Maria Manuela Schiavi, dite Marianna, avait dix-sept ans lorsqu’elle quitta Gallinaro pour s’installer à Velletri en 1865, tandis que Giacinto Carlesimo, son futur mari, y vivait déjà depuis son plus jeune âge. Les concessions des terres destinées aux nombreux fermiers agricoles appartenaient notamment aux Romani, famille originaire de la République de Venise qui s’était installée dans l’État pontifical à la fin du XVIIIᵉ siècle. La famille possédait ainsi un grand nombre de propriétés rurales sur le territoire de Velletri dont l’exploitation et la commercialisation des produits qui en résultent avaient favorisé de longue date l’intégration des frères Romani au sein de la classe marchande. Les biens furent cédés à Girolamo Romani, né en 1804, architecte, père de Temistocle, le futur beau-père de Juana Romani.
     
    Né en 1836, à Velletri, Temistocle Romani est le cinquième enfant d’une fratrie de treize. Devenu musicien, il jouit d’un environnement familial épris de culture et animé par les amis de son père. Il côtoie des artistes, des écrivains et des poètes liés à l’entourage de son père et de ses grands-oncles, hommes de lettres et antiquaires. À l’instar de ses frères, Temistocle collabore à la gestion du patrimoine familial. Rien ne prédisposait les deux familles – Romani et Carlesimo – à l’opposé de l’échelle sociale, à se côtoyer au-delà des seuls échanges économiques constituant le fondement de leur relation. Le rapprochement des deux familles s’opère dans le climat difficile de l’unification italienne ; Giacinto Carlesimo, père de Juana Romani intègre en effet un groupe politique actif dans le brigandage dont il devient une figure centrale. Cela aura pour conséquence une séparation avec Marianna, son épouse, qui entre au service de la famille Romani pour subvenir aux besoins de son nouveau-né. Les décès successifs de Giacinto Carlesimo, puis de Girolamo Romani, facilitent la fuite vers Paris de Marianna Schiavi et de Temistocle Romani en compagnie de la future Juana Romani, âgée de dix ans. Une nouvelle vie commence ainsi pour le couple qui régularise sa liaison par un mariage civil à Paris le 12 septembre 1878. 
     

    L’Italie : partir et revenir

    Partie à l’âge de dix ans, Juana Romani ne revient en Italie que quinze ans plus tard, en 1892, en compagnie de son maître et compagnon Ferdinand Roybet. Ce voyage s’apparente alors à la découverte d’un pays auquel elle demeure attachée affectivement et dont le souvenir est empreint d’une aura artistique idéalisée. Les étapes de son premier séjour s’apparentent à celles des élites européennes pratiquant le Grand Tour, passant par Turin, Milan, Venise, Florence, Rome et enfin, Naples. Un second voyage a lieu en 1895, le couple séjournant alors à Florence. 
     
    C’est le voyage de 1901 qui s’avère le plus emblématique : Juana Romani est en effet reçue en grandes pompes, le 21 octobre, par les autorités de Velletri, aux côtés d’éminentes figures intellectuelles et artistiques. Elle fait le déplacement avec Roybet et le photographe Antoine Lumière qui propose à la municipalité de leur céder un cinématographe commercialisé récemment par ses fils. Signe de sa reconnaissance à l’égard de sa ville natale qui voit en elle une digne successeuse de Virginia Vezzi, peintre et épouse de Simon Vouet, la peintre fonde un prix annuel aux élèves méritants de l’école municipale des arts et métiers qui avait pris son nom. Outre sa contribution à des œuvres de bienfaisance, elle envisage de créer un musée où seraient exposés ses propres tableaux ainsi que ceux de son maître Roybet. Le projet ne voit toutefois pas le jour. 

    À l’automne 1902, elle se rend une dernière fois à Venise. La maladie psychiatrique se manifeste dès l’année suivante. Toutefois, c’est vers l’Italie qu’elle se tourne pour y recevoir ses premiers soins, en séjournant à San Remo (Ligurie), puis à Andorno (Piémont), dans un établissement hydrothérapeutique, et enfin à Turin, dans une maison de santé dont elle ne sortira que pour être internée à l’asile privé d’Ivry. 
     

    Arbre généalogique de juana romani

    Images la famille

    Les maîtres

    L’atelier des maîtres depuis la table de pose

    Le visage rayonnant à la chevelure fauve et les proportions parfaites d’un corps ferme et élancé à la taillée marquée, font de la jeune Juana Romani un modèle recherché tant pour « la tête » que pour « l’ensemble ». Sans doute par ses « emballements de Méridionale » (René Morot), elle attire très vite l’attention d’artistes confirmés originaires de Toulouse, notamment Alexandre Falguière, membre de l’Institut et professeur à l’École des beaux-arts, son élève, le sculpteur et peintre Antonin Mercié, ainsi que les peintres Benjamin-Constant et Jean-André Rixens, tous anciens élèves de l’école des beaux-arts de Toulouse. Il est probable que Falguière, lié à Jean-Jacques Henner et à Carolus-Duran, ait été l’intermédiaire auprès de ces deux maîtres qui la prennent pour modèle, puis comme élève de « l’atelier des dames ».
     
    Parallèlement, elle devient le modèle de prédilection du jeune Victor Prouvé alors qu’elle ne pose encore qu’occasionnellement pour Ferdinand Roybet. C’est en se saisissant des bouts de fusain tombés à terre qu’elle exerce progressivement sa main, copiant les dessins déjà réalisés. En étant modèle, elle est au plus proche de la création et des fabriques de l’atelier. Plusieurs peintres relèvent les qualités dont elle témoigne, se trouvant ainsi encouragée dans sa démarche qui se poursuit dans la lecture d’ouvrages d’histoire de l’art, les visites des musées ou la consultation d’estampes. La transmission d’un répertoire iconographique mettant en scène des femmes puissantes et d’une tradition picturale allant des maîtres de la Renaissance italienne – Vinci, Corrège, Titien – à Velázquez, sans oublier Rembrandt, est manifeste. La collection qu’elle se constitue révèle en outre un grand intérêt pour Eugène Delacroix dont elle possède de nombreux dessins. Toutefois la plus grande place sera accordée à Roybet dans l’atelier duquel elle entre en 1887 et qui devient dès lors son « seul et unique Maître » (Juana Romani). 
     

    Victor PETER (1840 - 1918)

    Praticien pour Alexandre Falguière et pour Antonin Mercié, Victor Peter est un témoin privilégié de la vie de leurs ateliers. Il mène parallèlement une carrière de sculpteur et de graveur en médailles. Des sujets animaliers ainsi que des portraits d’artistes et de ses proches sont régulièrement exposés au Salon sous forme de médaillons ou de plaquettes. La médaille - inédite - qu’il réalise en prenant Juana Romani pour modèle a ceci de particulier qu’elle n’a pas encore le statut d’artiste, comme en témoigne l’inscription qui encadre son profil : « Giovanina Carolina », à la tonalité affectueuse, renvoie à un moment où la transposition hispanique de son prénom n’a pas encore été effectuée. Le délicat bas-relief traduit ses traits juvéniles qui se distinguent par son naturel et son apparence radieuse. Il est probable qu’il ait été réalisé au moment où elle pose dans l’atelier d’Alexandre Falguière. Un autre tirage de ce médaillon - dans des dimensions proches du modelage original - a été choisi pour être encastré dans la pierre tombale où figurent gravés ses noms de baptême et d’artiste.

    Alexandre FALGUIÈRE (1831-1900)

    Lors du Salon de 1884, le sculpteur Alexandre Falguière, académicien et professeur à l’École des beaux-arts, fait sensation en présentant une Nymphe chasseresse dans une posture peu conventionnelle. Personnalité définie comme méridionale, Falguière a sans doute été séduit par le caractère volontaire et enjoué de son modèle, Juana Romani, dont il retranscrit fidèlement la physionomie et les traits pour incarner cette divinité féminine. Connu pour réaliser des moulages d’après nature, il avait déjà présenté en 1882 une Diane inspirée par Hortense Fiquet, la compagne de Paul Cézanne. La pose hardie de ce nu féminin grandeur nature, en équilibre sur une jambe, rappelant le Mercure de Jean de Bologne, lui aurait été inspirée par son modèle. La popularité de cette sculpture conduit à des déclinaisons sous forme de « bibelot », en bronze ou en plâtre, en fonction des bourses. La complicité entre le modèle et le maître s’exprime également dans une œuvre inédite dans le corpus du sculpteur, buste en plâtre auquel Ferdinand Roybet a collaboré en réalisant la patine, contribuant de cette manière à rendre le portrait de Juana Romani plus vivant encore.

    Jean-Jacques Henner (1829-1905)

    La jeune Italienne entretient avec Jean-Jacques Henner une relation mêlée d’admiration et d’affection qui remonte au milieu des années 1880 alors qu’elle n’était que modèle professionnel. Si Juana Romani n’a peut-être pas posé pour la fameuse liseuse de 1883, elle a pu inspirer d’autres variantes de cette composition d’autant qu’elle est définie par le maître comme une grande lectrice, avide de connaissances artistiques. L’atelier d’Henner est en effet un lieu d’apprentissage privilégié parallèlement à « l’atelier des dames » qu’elle a dû fréquenter. Juana Romani retient du travail d’Henner, dans sa filiation avec Corrège et Caravage, ses figures bibliques ou mythologiques dénuées de leurs attributs dans des mises en scène dépouillées dans des forts clairs-obscurs. Ancien prix de Rome, membre du jury et assidu des dîners mondains, le maître est un élément clef dans ces jeux d’influence qui se jouent sur la scène artistique parisienne. Il en fait profiter la jeune peintre en l’appuyant notamment pour son premier Salon de 1888. Elle saura lui témoigner sa reconnaissance en le considérant comme son maître à l’égal de son compagnon, Ferdinand Roybet.

    Charles Auguste Émile DURANT dit CAROLUS-DURAN (1837-1917)

    D’origine modeste, Carolus-Duran est devenu un portraitiste renommé à la clientèle internationale, lorsque Juana Romani pose pour une esquisse, son visage de profil dans une attitude mélancolique, et pour L’Éveil (1886), œuvre caractéristique de ses dernières recherches de renouvellement du nu sous l’influence de Velázquez et de Corrège. L’interprétation du réel au regard des maîtres le conduit à se montrer attentif à la description des singularités de son modèle tout n’en échappant pas à une forme d’idéalisation. Les peintres espagnols constituent pour lui un enseignement sans cesse renouvelé à tel point que certains voient en lui un « Velázquez français ». Maître très prisé des artistes étrangers, il ouvre un atelier pour les hommes et « l’atelier des dames » dont il partage la direction avec Henner et que Juana Romani fréquente entre 1886 et 1889, à un moment où Carolus-Duran est très présent. Même si elle ne semble pas s’en revendiquer, il est probable qu’elle ait beaucoup appris de cet attachement à la tradition comme mode de transcription de la réalité.

    Victor PROUVÉ (1858-1943)

    Victor Prouvé est un jeune peintre ambitieux, élève d’Alexandre Cabanel, lorsqu’il rencontre à Paris, sans doute au début de l’année 1883, Juana Romani qui devient rapidement son modèle de prédilection. Elle n’a alors que seize ans mais c’est aux côtés du peintre nancéen que s’affirme sa propre vocation artistique. La jeune femme, identifiable dans les compositions de cette période, se prête à tous les jeux de travestissement allant du portrait de fantaisie à des mises en scènes théâtrales de sensibilité romantique. L’artiste essaie alors de se frayer une voie dans la lignée des maîtres parisiens alternant peinture d’histoire, scènes de genre et représentation du nu féminin. Parallèlement, Prouvé allie l’intime à son travail, son modèle lui inspirant des œuvres dans lesquelles leur complicité transparaît. À compter de 1887, Juana Romani disparaît de ses compositions mais ce temps d’échange se percevra longtemps dans les recherches de la peintre au travers de citations formelles ou de références littéraires.

    Jean-André RIXENS (1846-1925)

    Jean-André Rixens était l’un de ces artistes originaires des « provinces du Midi » que Juana Romani a côtoyé à Paris alors qu’elle débutait son activité de modèle. À l’instar d'Antonin Mercié ou de Benjamin-Constant, il était issu de l’école des beaux-arts de Toulouse et avait étudié à l’École des beaux-arts de Paris dans l’atelier d’Alexandre Cabanel. La modèle italienne a été identifiée dans deux compositions du peintre. Au Salon de 1884, elle apparaît sous les traits d’une jeune femme en buste dénudé qu’elle tente de dissimuler avec pudeur, quelques roses dans la main. La toile Coquetterie a été conçue dans le goût de Charles Chaplin et dans une approche témoignant d’une sensibilité naturaliste. Depuis l’échec au Prix de Rome de 1873, Rixens s’était progressivement affranchi des « grandes machines » au profit de portraits, de thématiques sociales ou de nus féminins suggestifs. Exposée au Salon un an avant Coquetterie, La Gloire (1883) est l’une de ses dernières peintures d’histoire. Si l’esquisse met en scène un peintre éprouvé par le travail et étreint par une allégorie - sous les traits de Juana Romani -, la composition finale (non localisée) figure un musicien dans une posture identique, devant son piano, les partitions au sol, récompensé de la même manière par une allégorie au traitement plus idéalisé. Il est possible que cela soit par l’intermédiaire de Rixens que la future peintre rencontra Alexandre Falguière, connu pour entretenir une confraternité entre les artistes « méridionaux ».

    Dans l’atelier de Ferdinand Roybet

    Ferdinand Roybet rencontre Juana Romani alors qu’elle débute son activité de modèle. Le peintre est installé depuis 1880 dans un nouvel atelier, 1 place Pigalle, dans le même immeuble que celui de Jean-Jacques Henner. Du fait de la présence de nombreux ateliers d’artistes autour de cette place, une communauté de modèles, femmes comme hommes, s’y retrouve quotidiennement à la recherche d’une séance. La jeune Italienne fréquente alors les ateliers du quartier de la Nouvelle Athènes devenant, à partir de 1884, l’égérie de plusieurs peintres ou sculpteurs. Elle pose à ce moment-là pour Roybet dans des scènes collectives telle La Chanson à boire (1884) ou la première version de La main chaude (1885). De jeune modèle, Juana Romani devient, à compter de 1886, l’élève puis la muse du peintre. Les deux artistes travaillent ensemble, de 1888 jusqu’à l’internement de la peintre en 1906. Roybet décède en 1920 et Juana Romani trois ans plus tard.
     
    Juana Romani installe en 1894 son atelier au 24 de la rue du Mont-Thabor qui est
    aussi le lieu de travail de Roybet. C’est un environnement baroque où la peintre utilise les accessoires mis à sa disposition tout en se formant au rendu tactile des matières. Du moment de sa formation, trois compositions attestent de la proximité avec son maître : une étude de Casque, un Reître et un Autoportrait. Plus tard, ce sont les tissus qui attirent toute l’attention de la jeune peintre qui en fait un élément structurel de ses compositions. Collectionneur attentif, Roybet conserve en effet un ensemble de costumes anciens utilisés pour habiller ses amis qui posent pour lui (Louis Prétet, Aristide Vigneron, Charles Waltner…). Dans L’Œuvre (vers 1896), Juana Romani se prête ainsi au jeu de la séance de pose portant une tunique rouge évoquant la dalmaticelle liturgique portée en Espagne (sorte de dalmatique) visible sur ses propres compositions. Au-devant d’elle, le maître, habillé d’une fraise godronnée, se portraiture devant un tableau invisible à la manière de Velázquez dans Les Ménines (Madrid, musée du Prado). Roybet et Juana Romani partagent une culture artistique commune. Ils ont une parfaite connaissance de l’œuvre du maître espagnol qu’ils complètent, entre septembre et novembre 1893, par un voyage à Madrid. Ils sont aussi tous deux appréciés comme experts de l’œuvre de Rembrandt.
     
    Aussi, leur travail doit-il être abordé communément tout en respectant des choix stylistiques propres. Le musée Roybet Fould conserve près de quatre-vingt-dix portraits de Juana Romani par Roybet dont une majorité de dessins préparatoires pour des œuvres importantes du maître. 

    Devenir peintre

    Juana Romani, le réel et l’Idéal 

    À 21 ans, Juana Romani expose pour la première fois au Salon après un parcours de formation singulier et bref, mais qu’elle poursuit auprès de son maître et compagnon, Roybet. L’artiste ne manque pas de surprendre par la manière dont elle interprète son apprentissage. Outre le travail dans l’atelier, ils voyagent fréquemment à l’étranger, se rendant en Italie, en Espagne et sans doute, en Belgique et aux Pays Bas. L’agrément se conjugue aux voyages d’étude, au cours desquels elle approfondit sa connaissance d’une tradition picturale à laquelle il lui semble primordial de se référer. La peinture caravagesque et le travail de Rembrandt et de Velázquez la séduisent au premier chef par la palette sombre et contrastée, la matérialité de la touche et cette attention au réel. Pourtant, à l’exception de ses premières compositions, les sujets traités sont dénués de tout naturalisme, empruntant pour l’essentiel ses sources à l’univers biblique, musical, théâtral ou à l’histoire de l’art. Son processus de création s’appuie sur les modèles – l’artiste elle-même se mettant parfois en scène –, restituant fidèlement leurs physionomies naturelles ou apprêtées, mais en les drapant de tissus lourds ou translucides, velours brodés ou damasquinés, dentelles, dans lesquelles leurs corps s’effacent. L’influence des maîtres de l’école vénitienne, Titien et Véronèse, vient enrichir le coloris et la matérialité des textiles délicatement restitués. Dans un jeu entre l’image et le titre, sans le recours à la narration ou à des accessoires, les figures se réfèrent à un univers romantique – voire symboliste – peuplé de références à l’opéra, à la littérature, à la poésie ou à l’art au sein desquelles l’Italie n’est jamais loin. Pays de son enfance, de sa langue et de sa culture, l’Italie incarne un mythe, un Idéal auquel ces figures féminines donnent corps

    De la reconnaissance à l’oubli

    La brève carrière de Juana Romani s’étend sur environ quinze années avec plus de quatre-vingt œuvres. Témoins de son succès sont les nombreuses reproductions parues dans les revues illustrées mais aussi les estampes d’interprétation présentées au Salon d’après ses compositions. Les eaux-fortes de Pierre-Gustave Taverne et de Raphaël Spinelli en sont les exemples les plus manifestes. Juana Romani a su s’imposer sur la scène artistique en peu de temps. Ses débuts remontent à 1888. Dès l’année suivante, elle parvient à être sélectionnée par le comité artistique de la section italienne présidé par le portraitiste mondain Giovanni Boldini pour l’Exposition universelle qui se déroule à Paris. La médaille d’argent qu’elle reçoit à cette occasion lui permet d’être exemptée de jury lors de toutes ses participations à venir au Salon des Artistes français. À cela s’ajoutent deux achats de l’État, Primavera en 1895 et Salomé (disparu) en 1898, initialement destiné au musée du Luxembourg. Si la presse fait souvent état de sa subordination aux maîtres dont elle se réclame, Henner et Roybet, certains critiques lui témoignent une admiration non feinte et ce, dès 1890 alors qu’elle expose Hérodiade et Jeunesse pour lesquels l’exigeant Paul Mantz parle d’ « une originalité suprême ». Deux ans plus tard, son éloge est dressé par l’éclectique et généreux Armand Silvestre dans le recueil édité par Angelo Mariani tandis que le nostalgique Camille Mauclair voit dans sa « peinture de femme », le souvenir « des beaux Italiens de la fin de la Renaissance ». La consécration est entière lors de l’Exposition universelle de 1900 où elle expose quatre tableaux dans la section italienne tandis qu’elle s’affirme comme une portraitiste mondaine. Mais parce que ces appuis appartiennent à une génération antérieure à la sienne – Roybet au premier chef décède en 1920 –, parce qu’elle demeure Italienne dans un contexte où le regard des critiques attachés à une tradition artistique s’accompagne d’une forme de nationalisme, mais surtout parce que la maladie l’éloigne définitivement de la scène artistique, elle sombre dans l’oubli au point qu’aucun article nécrologique ne paraît à sa mort, le 13 juin 1923. Beaucoup de ses œuvres sont aujourd’hui à l’étranger, en mains privées, ou encore non localisées, voire disparues. Les photographies réalisées à l’époque témoignent de son importante production.

    Un achat de l’État : Primavera

    C’est une allégorie singulière au titre « botticellien » dont l’État fait l’acquisition en 1895 à la suite de son exposition au Salon des Artistes français. Une jeune fille échevelée aux pommettes saillantes et aux yeux mi-clos affiche un sourire sans retenue montrant la rangée de ses dents. La peintre n’a pas encore trente ans mais pose ses conditions : l’achat par l’État, dont elle juge le montant dérisoire, doit aboutir à son intégration dans les collections du musée du Luxembourg, perçu comme « l’antichambre » du Louvre. La notoriété de l’artiste se mesure à l’orée des nombreuses reproductions dans les revues et d’une luxueuse eau-forte « sur parchemin » gravée par Gustave Taverne et commercialisée par les successeurs de la maison Goupil. L’attribution tarde pourtant et l’œuvre circule en province au point que des musées font la démarche pour l’obtenir. Le tableau est de nouveau présenté à l’Exposition universelle de 1900 avant d’être relégué, pour plusieurs années, au ministère des finances, contribuant à effacer le souvenir de ce succès.

    De l’enfermement

    La carrière de Juana Romani prend fin prématurément avec la manifestation de ses premiers troubles psychiatriques. Le vernissage du Salon des Artistes français de 1903 pourrait être la dernière apparition publique de la peintre même si elle y expose une dernière fois l’année suivante. Le docteur Guillaume Guelpa, éminent représentant de la colonie italienne à Paris, lui prodigue alors les premiers soins. C’est d’ailleurs en Italie qu’elle se rend peu après pour améliorer son état de santé. Elle y séjourne de nouveau l’année suivante, se faisant soigner dans la plus renommée des maisons de cure physiothérapeutique, à Andorno, dans la région de Biella. Nous ne connaissons pas le diagnostic mais la maison est notamment spécialisée dans les cas de « fatigue nerveuse due à l’excès de travail » ainsi que dans la neurasthénie et dans l’hystérie. Elle alterne des cures à Andorno avec des séjours dans un établissement à Turin. En septembre 1906, elle finit par entrer en France, sans doute à la demande de Roybet, dans l’asile privé d’Ivry. On sait peu de choses sur ce séjour d’une dizaine d’années qui prend fin avec le décès de son compagnon, le 11 avril 1920. En effet, quelques jours après, la peintre est transférée à l’asile Sainte-Anne, à Paris. On y diagnostique un « délire systématisé de persécution et grandeur avec hallucinations multiples, désordre des actes, impulsions ».
     
    Au début de l’année 1922, elle est placée à l’asile de Ville-Evrard, ne disposant pas de moyens suffisants pour être logée à la maison de santé du même établissement. D’autres symptômes apparaissent sous la forme notamment d’une tuberculose pulmonaire pour laquelle elle est soignée au pavillon de chirurgie de l'asile Sainte-Anne. Ses faibles revenus contraignent son administrateur des biens à envisager la vente de ses tableaux et de son mobilier. Avant même que cette vente ne se réalise, et suite à une décision dont on ne connaît pas l’origine, la peintre est transférée à la maison de santé du Château de Suresnes où elle décède, moins de trois semaines plus tard, le 13 juin 1923.
     

    Maîtriser son image

    Très tôt, avec un sens avisé, Juana Romani se saisit des moyens mis à sa disposition pour promouvoir tant ses tableaux que son image. Elle s’appuie notamment sur certains périodiques, tels Paris Illustré et L’Art français, qui proposent à leurs lecteurs des reproductions fidèles des tableaux figurant aux expositions parisiennes annuelles, les œuvres de la peintre connaissant rapidement la faveur de la couverture. Cela contribue notamment à la diffusion internationale de son travail. 
     
    Paris-Noël est emblématique du rapport d’interdépendance qui se crée entre l’artiste et l’éditeur. Il s’agit d’un périodique luxueux, fondé par un proche de Ferdinand Roybet, Gustave Gœtschy, qui conçoit un titre où prédomine une illustration de grande qualité, servie par de nouveaux procédés de reproduction en couleur et par une esthétique graphique art nouveau. Édité une fois par an, durant la période de Noël, le journal publie régulièrement, dès 1892, des œuvres de Juana Romani mais aussi des tableaux de Roybet représentant sa compagne. La diffusion de son art se trouve ainsi étroitement corrélée à celle de sa propre image.
     
    Ce n’est donc pas par hasard si son nom se retrouve dans les entreprises visant à rassembler les plus célèbres personnalités ou notabilités de la société, tout domaine confondu. Il faut citer l’album d’Angelo Mariani où chaque notice biographique - celle de la peintre sera signée par Armand Silvestre (parue en 1896) - est agrémentée d’un portrait gravé et d’un dessin autographe. Juana Romani fait aussi partie des « Célébrités contemporaines », collection de « cartes de visite » photographiques diffusées dans les tablettes de chocolat Félix Potin. La petite photographie en pied, signée Pierre Petit, montre la jeune femme dans une posture déterminée, dans un léger déhanché sensuel. Elle est en revanche diffusée tardivement, à partir de 1908, témoignant de la pérennité de sa notoriété à un moment où la peintre n’expose déjà plus.
     
    Cette association du monde artistique avec une entreprise commerciale est également manifeste dans une réclame, les parfums naturels de Lenthéric, où son portrait - réalisé par le photographe lyonnais Pierre-Jacques Bellingard - vient à l’appui de son témoignage, et ce aux côtés d’une seconde peintre femme, Amélie Beaury-Saurel. Ces images montrent aussi l’attention particulière que l’artiste porte à son apparence vestimentaire. Ses robes reflètent le goût de la mode de la fin du XIXᵉ siècle et ses évolutions, de la silhouette en S au costume-tailleur popularisé par le couturier anglais Redfern.
     
    On la voit également, dans un autre portrait de Bellingard, revêtue d’une robe en drapé blanc, ornée de motis végétaux sur les manches et le col, la taille enserrée par une ceinture à l’inspiration médiévale. Cette image est notamment diffusée dans Le Figaro-Modes et Femina dans des articles touchant aux artistes femmes. Elle ne dédaigne pas pour autant de montrer les attributs de son métier car il s’agit avant tout de se faire reconnaître comme peintre. Ainsi, elle apparaît dans la même robe, mais pinceaux à la main, dans un dessin d’Engel-Garry (pseudonyme de José Louis Engel) qui réalise alors une série rassemblant des personnalités parisiennes.
     
    Deux autres photographies la montrent aussi à son chevalet, pinceau dans une main, palette dans l’autre : l’une d’Edmond Bénard dans le cadre de l’atelier qu’elle partage avec Roybet, l’autre de Ruckert & Cie (parue dans la Vie illustrée, mai 1901), dans un cadrage resserré faisant ressortir cette confrontation entre l’œuvre et sa créatrice. Elle fut sans doute la première artiste femme à s’appuyer ainsi sur la presse, les entreprises commerciales et la photographie, pour assurer la promotion non seulement de sa peinture mais aussi de son statut d’artiste femme.
     

    Construire son réseau

    Juana Romani et les poètes 

    Les affinités de Juana Romani s’inscrivent dans un contexte où les poètes entretiennent des liens étroits avec les peintres par le biais notamment de la critique d’art. Roger-Milès (1859-1928), en disciple du Parnasse, lui offre des interprétations poétiques de deux de ses tableaux tout en la soutenant dans ses comptes rendus de Salons. La peintre trouve en la poésie la réalisation d’un idéal artistique porté par une intellectualité à l’abri des contingences vilement matérielles. Paradoxalement, elle entretient une plus grande complicité avec Armand Silvestre (1837-1901). S’il a été un Parnassien apprécié de Paul Verlaine (1844-1896), il doit surtout sa triste renommée à ses contes grivois et scatologiques paraissant dans le quotidien Gil Blas. Mais c’est aussi une personnalité joviale – dont saura rendre compte Théodore Rivière (1857-1912) – précurseur dans le soutien aux Impressionnistes et à Édouard Manet (1832-1833). Séduit par une approche intellectuelle de l’art, il est également l’un des appuis de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) et de Jean-Jacques Henner (1829-1905), « le peintre préféré des poètes de ce temps » (Théodore de Banville). Lorsque Juana Romani le rencontre, il a déjà publié les souvenirs de sa jeunesse et de sa maturité. Il l’aide très tôt par sa plume, dès 1891, tout d’abord dans ses comptes rendus de Salons, puis en lui dédiant plusieurs poèmes, l’un publié dans Paris-Noël, fondé par le critique et éditeur Gustave Goetschy (1846-1902), ou dans ses recueils. Juana Romani, à son tour, lui dédicace une Giovanella (localisation inconnue), autoportrait qu’elle expose au public parisien. 
     
    Ce jeu de réciprocités se poursuit par la notice biographique que Silvestre lui rédige dans un style lyrique afin qu’elle soit publiée dans la deuxième livraison de l’Album Mariani (1896). Ce parrainage symbolique se double d’une amitié que la peintre partage avec Roybet et la compagne de Silvestre, la pastelliste Claire Lemaître (dates inconnues). L’image du polygraphe où la femme joue le rôle de muse charnelle et intellectuelle est explicitement traduit dans le portrait que Jean Béraud (1849-1935), peintre mondain de la vie parisienne, fait de lui. Sans doute, Juana Romani a-t-elle incarné cette inspiratrice tant auprès de poètes que de peintres ou de graveurs, interprètes de son corps comme de ses œuvres.

    Le catalogue de l'exposition

    Le catalogue est le fruit d’une collaboration entre plusieurs auteurs et chercheurs qui, par leur expertise et leurs compétences, ont permis de rédiger cette première monographie française sur l’artiste. L’ouvrage fait ainsi un état de le recherche tant sur la carrière et l’œuvre de l’artiste qu’un point sur les moments clefs de sa vie en proposant la première biographie qui lui soit consacrée. Les portraits de Juana Romani vue par ses maîtres et une chronologie des œuvres présentées lors de diverses expositions sont illustrés par une importante iconographie en couleur.
     
    Couverture 4 pages avec rabats, format 21 x 24 cm (fermé) - 42 x 24 cm (ouvert) 
    200 pages, impression quadrichromie, 800 exemplaires
    En vente au musée Roybet Fould
    Prix 25 € TTC 

    RÉDACTION 
    Marion LAGRANGE, maîtresse de conférences en histoire de l’art contemporain, Université Bordeaux Montaigne
    Emmanuelle TRIEF-TOUCHARD, attachée de conservation du patrimoine, directrice du musée Roybet Fould
    Gabriele ROMANI, historien de l’art indépendant (Roma, Italie)
    Sophie KURKDJIAN, docteur en histoire des médias, Université Paris I Panthéon-Sorbonne,
    spécialiste de l’histoire de la mode
    Dr Michel CAIRE, docteur en médecine, docteur en histoire à l’École Pratique des Hautes Études, à Paris, spécialiste de l’histoire de la psychiatrie
     
    MISE EN PAGE 
    Agence les Pistoleros, Dijon 

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    À propos

    Exposition présentée du 19 mai au 19 septembre 2021 musée Roybet Fould à Courbevoie

    Situé sur les bords de la Seine, face à l’Île de la Jatte, le musée Roybet Fould est un musée municipal appartenant au réseau des Musées de France, géré par le service patrimoine et musée de la ville de Courbevoie. Le musée est hébergé dans l’ancien Pavillon de la Suède et de la Norvège remonté dans le parc de Bécon après sa présentation à l’Exposition universelle de 1878, à l’instar du Pavillon des Indes. Ces deux architectures remarquables ayant appartenu conjointement aux familles Fould et Stirbey sont visitables toute l’année.


    Voir l’exposition virtuelle du musée Montages et remontages : architectures éphémères des Expositions universelles au XIXᵉ siècle.

    Activités du service patrimoine et musée


    Expositions temporaires, animations, ateliers pour les enfants et les familles, conférences, participation aux Journées européennes des métiers d’art, du patrimoine, Nuit européenne des musées, Journée de l’architecture… Bibliothèque et documentation sur les artistes et la ville de Courbevoie.
     
    Musée Roybet Fould
    Parc de Bécon, 178 Boulevard Saint-Denis
    Ouverture du mercredi au dimanche, de 10 h 30 à 18 h
    Fermeture annuelle la semaine de Noël
    Entrée gratuite

    Le Pavillon des Indes
    Parc de Bécon, 142 Boulevard Saint-Denis
    Uniquement sur rendez-vous.
    Contacter le musée pour les jours et les horaires.
    Entrée payante
     
    Accès
    Métro : ligne 3, terminus « Pont-de-Levallois/Bécon » puis traverser la Seine (10 mn)
    SNCF : Gare Saint-Lazare, arrêt « Bécon-Les-Bruyères » (7 min)
    Bus : lignes 175 « Franklin » et 275 « Mermoz » (5 min)

    Renseignements, inscriptions et programmes
    Tél. : 33 (0)171 057 792
    Visitez le site du musée Roybet Fould.
    Visitez la page Facebook du musée