Maîtriser son image
Très tôt, avec un sens avisé, Juana Romani se saisit des moyens mis à sa disposition pour promouvoir tant ses tableaux que son image. Elle s’appuie notamment sur certains périodiques, tels Paris Illustré et L’Art français, qui proposent à leurs lecteurs des reproductions fidèles des tableaux figurant aux expositions parisiennes annuelles, les œuvres de la peintre connaissant rapidement la faveur de la couverture. Cela contribue notamment à la diffusion internationale de son travail.
Paris-Noël est emblématique du rapport d’interdépendance qui se crée entre l’artiste et l’éditeur. Il s’agit d’un périodique luxueux, fondé par un proche de Ferdinand Roybet, Gustave Gœtschy, qui conçoit un titre où prédomine une illustration de grande qualité, servie par de nouveaux procédés de reproduction en couleur et par une esthétique graphique art nouveau. Édité une fois par an, durant la période de Noël, le journal publie régulièrement, dès 1892, des œuvres de Juana Romani mais aussi des tableaux de Roybet représentant sa compagne. La diffusion de son art se trouve ainsi étroitement corrélée à celle de sa propre image.
Ce n’est donc pas par hasard si son nom se retrouve dans les entreprises visant à rassembler les plus célèbres personnalités ou notabilités de la société, tout domaine confondu. Il faut citer l’album d’Angelo Mariani où chaque notice biographique - celle de la peintre sera signée par Armand Silvestre (parue en 1896) - est agrémentée d’un portrait gravé et d’un dessin autographe. Juana Romani fait aussi partie des « Célébrités contemporaines », collection de « cartes de visite » photographiques diffusées dans les tablettes de chocolat Félix Potin. La petite photographie en pied, signée Pierre Petit, montre la jeune femme dans une posture déterminée, dans un léger déhanché sensuel. Elle est en revanche diffusée tardivement, à partir de 1908, témoignant de la pérennité de sa notoriété à un moment où la peintre n’expose déjà plus.
Cette association du monde artistique avec une entreprise commerciale est également manifeste dans une réclame, les parfums naturels de Lenthéric, où son portrait - réalisé par le photographe lyonnais Pierre-Jacques Bellingard - vient à l’appui de son témoignage, et ce aux côtés d’une seconde peintre femme, Amélie Beaury-Saurel. Ces images montrent aussi l’attention particulière que l’artiste porte à son apparence vestimentaire. Ses robes reflètent le goût de la mode de la fin du XIXᵉ siècle et ses évolutions, de la silhouette en S au costume-tailleur popularisé par le couturier anglais Redfern.
On la voit également, dans un autre portrait de Bellingard, revêtue d’une robe en drapé blanc, ornée de motis végétaux sur les manches et le col, la taille enserrée par une ceinture à l’inspiration médiévale. Cette image est notamment diffusée dans Le Figaro-Modes et Femina dans des articles touchant aux artistes femmes. Elle ne dédaigne pas pour autant de montrer les attributs de son métier car il s’agit avant tout de se faire reconnaître comme peintre. Ainsi, elle apparaît dans la même robe, mais pinceaux à la main, dans un dessin d’Engel-Garry (pseudonyme de José Louis Engel) qui réalise alors une série rassemblant des personnalités parisiennes.
Deux autres photographies la montrent aussi à son chevalet, pinceau dans une main, palette dans l’autre : l’une d’Edmond Bénard dans le cadre de l’atelier qu’elle partage avec Roybet, l’autre de Ruckert & Cie (parue dans la Vie illustrée, mai 1901), dans un cadrage resserré faisant ressortir cette confrontation entre l’œuvre et sa créatrice. Elle fut sans doute la première artiste femme à s’appuyer ainsi sur la presse, les entreprises commerciales et la photographie, pour assurer la promotion non seulement de sa peinture mais aussi de son statut d’artiste femme.