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Juana Romani et les poètes
Les affinités de Juana Romani s’inscrivent dans un contexte où les poètes entretiennent des liens étroits avec les peintres par le biais notamment de la critique d’art. Roger-Milès (1859-1928), en disciple du Parnasse, lui offre des interprétations poétiques de deux de ses tableaux tout en la soutenant dans ses comptes rendus de Salons. La peintre trouve en la poésie la réalisation d’un idéal artistique porté par une intellectualité à l’abri des contingences vilement matérielles. Paradoxalement, elle entretient une plus grande complicité avec Armand Silvestre (1837-1901). S’il a été un Parnassien apprécié de Paul Verlaine (1844-1896), il doit surtout sa triste renommée à ses contes grivois et scatologiques paraissant dans le quotidien Gil Blas. Mais c’est aussi une personnalité joviale – dont saura rendre compte Théodore Rivière (1857-1912) – précurseur dans le soutien aux Impressionnistes et à Édouard Manet (1832-1833). Séduit par une approche intellectuelle de l’art, il est également l’un des appuis de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) et de Jean-Jacques Henner (1829-1905), « le peintre préféré des poètes de ce temps » (Théodore de Banville). Lorsque Juana Romani le rencontre, il a déjà publié les souvenirs de sa jeunesse et de sa maturité. Il l’aide très tôt par sa plume, dès 1891, tout d’abord dans ses comptes rendus de Salons, puis en lui dédiant plusieurs poèmes, l’un publié dans Paris-Noël, fondé par le critique et éditeur Gustave Goetschy (1846-1902), ou dans ses recueils. Juana Romani, à son tour, lui dédicace une Giovanella (localisation inconnue), autoportrait qu’elle expose au public parisien.
Ce jeu de réciprocités se poursuit par la notice biographique que Silvestre lui rédige dans un style lyrique afin qu’elle soit publiée dans la deuxième livraison de l’Album Mariani (1896). Ce parrainage symbolique se double d’une amitié que la peintre partage avec Roybet et la compagne de Silvestre, la pastelliste Claire Lemaître (dates inconnues). L’image du polygraphe où la femme joue le rôle de muse charnelle et intellectuelle est explicitement traduit dans le portrait que Jean Béraud (1849-1935), peintre mondain de la vie parisienne, fait de lui. Sans doute, Juana Romani a-t-elle incarné cette inspiratrice tant auprès de poètes que de peintres ou de graveurs, interprètes de son corps comme de ses œuvres.