Astrophysicienne et cosmographe de renommée mondiale, Hélène Courtois est vice-présidente de l’université Lyon 1 et membre de l’Institut universitaire de France. Directrice d’une équipe de recherche à l’Institut de physique des deux infinis de Lyon, elle a notamment contribué à la découverte du superamas Laniakea – auquel appartient la Voie lactée –, au sein du consortium international Cosmic-flows. 

Qu’est-ce que la cosmologie et pourquoi vous êtes-vous orientée vers cette spécialité ?

Hélène Courtois : La cosmologie est, en quelque sorte, l’histoire-géographie de l’univers. Elle cherche à comprendre pourquoi et comment se sont formées les galaxies. Ma vocation s’est dessinée dès le lycée : grâce à des vidéos d’Hubert Reeves, je me suis rendu compte que la physique et les mathématiques pouvaient avoir un sens. J’ai également pris conscience qu’il était possible de remonter très loin dans l’histoire du cosmos à partir de l’analyse de la lumière.

Quelles méthodes employez-vous pour concevoir votre cartographie des galaxies ?

H. C. : Nous repérons les galaxies et déterminons leurs coordonnées à partir de clichés. Pour connaître leur distance, nous avons recours à des radiotélescopes ou des télescopes optiques à spectrographe. Nous intégrons la dimension temporelle et la vitesse à l’aide de calculs. Ces mesures nous permettent de réaliser une cartographie en 3D des régions de l’univers que nous avons observées.

Comment la quête du Grand Attracteur vous a-t-elle conduits (1) à la découverte du superamas Laniakea en 2014 ? 

(1) Cette découverte est le fruit du travail collectif des astrophysiciens de Cosmic-flows : Hélène Courtois (France), R. Brent Tully (États-Unis), Yehuda Hoffman (Israël) et Daniel Pomarède (France). 

H. C. : À la fin des années 80, les cosmologues ont localisé la région du Grand Attracteur, mais ils ne parvenaient pas à expliquer la vitesse extrême (630 km/s) du mouvement d’un faible nombre de galaxies vers cet amas gravitationnel. Nous sommes allés plus loin et avons mis en lumière un ensemble, beaucoup plus vaste, d’un million de galaxies convergeant vers le Grand Attracteur. 

Quelle est la dynamique de Laniakea ?

H. C. : Tout comme ses homologues (Coma, Persée-Poissons…), le superamas Laniakea fonctionne à la manière d’un bassin versant hydrographique… de plus de 500 millions d’années-lumière d’envergure. En vertu de la gravitation, les "affluents" galactiques confluent vers un "estuaire" unique, le Grand Attracteur.

Combien de galaxies avez-vous identifiées et mesurées ?

H. C. : À l’heure actuelle, nous connaissons bien le déplacement de 20000 galaxies à une échelle d’un milliard d’années-lumière et avons une idée précise de la position d’un million de galaxies.

Vous évoquez dans votre livre (2) la "compétition intense" mais aussi les fructueuses coopérations entre chercheurs. Quelle est votre expérience en la matière ?

(2) Voyage sur les flots de galaxies. Laniakea, et au-delà, éditions Dunod, 2016-2018

H. C. : Les puissants instruments d’observation, de mesure et de calcul nécessaires aux astronomes leur sont accessibles selon des critères de mérite scientifique et de qualité du travail, mais les créneaux restent limités, et 90 % des demandes sont rejetées. Il est donc essentiel de mutualiser nos données sans considération de nationalité ou de facteurs économiques. Nous écartons systématiquement de nos programmes ceux qui ne jouent pas le jeu et accordons une large place aux jeunes doctorants. Grâce à ce modèle de coopération internationale et intergénérationnelle, la science avance plus vite. D’ailleurs, la recherche fondamentale publique est à l’origine de nombreuses innovations technologiques qui profitent à toute l’humanité, telles que l’électricité, le pixel ou encore la fibre optique. Hélas, les financements demeurent insuffisants…

En quoi consiste le métier d’astrophysicien ? 

H. C. : C’est un métier d’aventurier. Nous montons nos expéditions à la façon de l’explorateur Mike Horn ! Une fois les données collectées (ce qui peut prendre du temps, en fonction des contingences), nous devons les traiter, les interpréter, les mettre en forme et les publier afin qu’elles puissent être utilisées par d’autres. Pour ma part, je dialogue quotidiennement par Internet avec mes collègues d’Afrique du Sud, d’Hawaï, d’Australie, d’Israël… Ensemble, nous travaillons ainsi 24 h/24, partout dans le monde. Une part de notre fonction consiste également à former de nouvelles générations de physiciens et de mathématiciens et à communiquer le résultat de nos recherches au grand public. C’est un choix de vie exigeant, qui réclame de l’organisation, mais quel frisson de se trouver à frontière des connaissances humaines !

En tant que professeur d’université et marraine du planétarium de Vaux-en-Velin, vous êtes particulièrement investie dans la transmission de votre savoir. Comment envisagez-vous cette mission ? 

H. C. : Étudiants et grand public doivent pouvoir expérimenter, faire les choses par eux-mêmes. Il est indispensable que chacun ait son propre mode de pensée et confronte ses idées à celles des autres. C’est d’ailleurs la force de nos équipes, dont chaque membre bénéficie de cet enrichissement croisé, se nourrit de la créativité de tous. Je crois énormément à l’éducation et milite pour que les universités, lieux d’échange et de respect mutuel, soient ouvertes à tous.

Quelles interventions proposerez-vous dans le cadre du festival Atmosphères ? 

H. C. : J’irai notamment à la rencontre des jeunes, auxquels j’expliquerai ce qu’est un métier scientifique – avec une part d’humanisme ! Je serai à leur disposition pour répondre à toutes leurs questions. Je présenterai aussi mon film documentaire, Voyage sur les flots célestes, diffusé sur France 5 au mois d’avril et disponible en DVD.

Vous concluez votre livre sur la "fascination devant l’élégance et la complexité de notre Univers". L’observation de l’espace tient aussi de la quête de sens eu égard à notre place d’êtres humains au sein du cosmos. N’y a-t-il pas là quelque chose de fondamentalement philosophique ?

H. C. : Mes années de recherche m’ont amenée à un constat saisissant : j’ai noté plus de similarités que de différences dans les grandes structures de l’Univers. Autrement dit, cette complexité merveilleusement belle révèle avant tout nos ressemblances. Nous sommes tous des filles et des fils des étoiles. Telle est la leçon de paix et de bienveillance que nous enseigne l’Univers.